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Face à la pénurie de pierres précieuses, de plus en plus de joaillers, comme Bulgari – qui expose en ce moment à Moscou ses plus belles créations – se tournent vers les pierres fines, ces améthystes, topazes et autres tourmalines qui donnent naissance aux créations les plus subtiles. Un engouement qui tire à son tour le prix de ces pierres semi-précieuses vers le haut.
Bulgari au Kremlin : jusqu’au 13 janvier, le bijoutier de luxe Bulgari, propriété du groupe LVMH, investit le musée du Kremlin, à Moscou. Plus de 400 pièces d’exception, datant des origines de la marque aux années 1990, retracent pour le public moscovite l’évolution du joailler italien, tout en rendant hommage aux stars qui ont arboré ses créations.
Si la fondation de la maison Bulgari remonte à la fin du XIXe siècle, ce n’est qu’au cours des années 1960 que la marque impose son style. Tournant le dos aux tendances venues de France, Bulgari fait alors le pari de bijoux aux couleurs vives, disposées le long de créations aux lignes géométriques, immédiatement reconnaissables. Un pari gagnant, qui va conquérir le cœur d’innombrables actrices de cinéma.
Ce sont ces femmes auxquelles l’exposition de Moscou consacre une large part. A l’image des actrices italiennes des années 1960 Anita Ekberg et Anna Magnani, dont on peut admirer la célèbre bague Trombino, sertie d’un diamant jaune de 25 carats, ou ce poudrier en or rehaussé de diamants. D’autres vitrines sont dédiées aux stars américaines, comme Elizabeth Taylor, sans doute la plus inconditionnelle des fans de Bulgari – et dont le mari, l’acteur Richard Burton, affirmait que le seul mot d’italien que son épouse connaissait était le nom du joailler.
Les pierres fines, nouvelles coqueluches des joailliers
Les visiteurs de l’exposition moscovite pourront s’émerveiller devant les diamants, émeraudes, rubis et saphirs qui composent les bijoux de Bulgari : quatre pierres précieuses aussi officiellement reconnues comme telles que de plus en plus rares à trouver – et dont le prix explose en conséquence. Depuis l’an 2000, les prix du rubis ont ainsi augmenté de 500%, ceux du saphir et de l’émeraude de 300%.
En cause, la surexploitation des mines d’où sont extraites ces précieux cailloux, mines qui se comptent, qui plus est, sur les doigts d’une main. Pour devancer la pénurie de pierres précieuses, les joaillers du monde entier se tournent désormais vers les pierres « fines », que la Confédération internationale de bijouterie, joaillerie, orfèvrerie des diamants, perles et pierres (CIBJO) définit comme toutes les gemmes naturelles non classées dans la famille des quatre « vraies » pierres précieuses.
Si la liste dressée en 1970 par la CIBJO comprend 29 pierres fines – et non « semi-précieuses », le terme étant interdit dans le commerce en France depuis 2002 –, les plus connues d’entre elles sont l’améthyste, le topaze, le péridot, la citrine, l’aigue-marine, la tourmaline verte ou encore la rodhelite. Autant de pierres plus disponibles et moins chères que leurs grandes sœurs et qui ont l’avantage d’offrir une palette de couleurs et de nuances bien plus large que les émeraudes, toujours vertes, ou les rubis, nécessairement rouges.
Des atouts qui ont séduit Lucia Silvestri, la directrice de création de Bulgari. « On peut davantage s’amuser avec ces pierres », confie-t-elle au Monde dans son supplément Joaillerie et Horlogerie du 15 novembre. « Pour le collier Butterflies (Wild Pop) de la dernière collection, j’ai cherché des couleurs pastel qui soient aussi brillantes, je voulais qu’elles aient l’air vivantes. Et pour faire ressortir leurs couleurs, nous les avons fait travailler en ‘movale’ – un mélange de taille marquise et d’ovale », explique encore la créatrice.
Même enthousiasme chez Van Cleef & Arpels, dont le directeur du service pierres, qui souhaite conserver l’anonymat, affirme au quotidien du soir : « Ce qui est fabuleux, c’est la diversité des couleurs au sein d’une même famille. Il existe des dizaines de nuances pour les tourmalines. C’est la même chose pour les grenats ou les spinelles. Dans la famille des béryls cohabitent aussi bien l’émeraude que la morganite, une pierre rose absolument superbe. Cela nous donne une grande liberté de choix pour la couleur ou les formes. C’est aussi une grande source d’inspiration pour le département création » de la marque.
La demande tire les prix à la hausse
« Les pierres fines ne sont pas le parent pauvre des pierres précieuses, juge encore l’employé de Van Cleef & Arpels. Les grandes maisons les ont peu à peu imposées dans la discipline ». Un intérêt grandissant qui a fait flamber à leur tour les prix de ces pierres fines. Le prix de la tourmaline, par exemple, a été multiplié par deux entre 2010 et 2015. « On assiste à une frénésie stylistique. Or la matière première nécessaire à nos créations se raréfie, ce qui explique l’augmentation générale des prix », confirme au Monde Pierre Rainero, directeur de l’image et du style de Cartier. « On a pris conscience récemment de la rareté de ces pierres, qui ont été un temps délaissées, d’où la montée des prix et les achats spéculatifs », explique encore M. Rainero, selon lequel « les maisons s’intéressent davantage aux pierres fines, préférant une aigue-marine Santa Maria très bleue à un vilain saphir ».
Même constat chez le joailler Lorenz Bäumer, selon qui certains spinelles « peuvent aujourd’hui atteindre les prix des rubis, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans ». Une course à la pierre d’exception que confirme Lucia Silvestri, chez Bulgari : « Il y a énormément de pierres sur le marché, mais la qualité que nous exigeons est très rare. Le travail de sélection est colossal, et nos équipes parcourent le monde pour dénicher ce qu’il y a de meilleur ». Reste que le diamant est éternel, et qu’il sert même de refuge aux investisseurs depuis la crise de 2008. Son marché mondial était estimé à 55 milliards d’euros en 2012, et sa demande devrait doubler d’ici à 2020.