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Le secteur du luxe accuse un net ralentissement dans la région du Golfe. Seul le Qatar semble tirer son épingle du jeu et pourrait bien s’imposer comme le hub régional du luxe dans les années à venir.
Le luxe traverse-t-il une mauvaise passe au Moyen-Orient ? Le secteur qui, selon le cabinet Bain & Company, pèse quelque 13 milliards d’euros dans la région et représente environ 5% du marché mondial, vient de traverser « deux années très difficiles, avec une baisse des ventes de l’ordre de 1% à 2% », estime Patrick Chalhoub, PDG du groupe éponyme de distribution, spécialisé dans les marques de luxe auprès de la clientèle du Golfe. On est donc loin des taux de croissance de 6% à 8% enregistrés lors des années précédentes.
« Le luxe va encore stagner au Moyen-Orient dans les deux années qui viennent »
« Plusieurs facteurs ont contribué à ce recul », analyse Patrick Chalhoub. « A commencer par la chute des prix du pétrole. Cela a engendré la baisse des subventions sur les matières premières et en conséquence l’inflation. Le PIB n’a progressé que de 1% en 2017 dans la région ». Seconde raison invoquée, la fluctuation défavorable des taux de change, avec la hausse du dollar. « A cela s’ajoute, complète Patrick Chalhoub, une baisse de confiance de la part des consommateurs liée aux tensions géopolitiques locales, avec les conflits au Yémen et en Syrie ».
Conclusion de l’expert : « Le luxe va encore stagner au Moyen-Orient dans les deux années qui viennent », et ce alors que plusieurs pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) réfléchissent ouvertement à introduire une forme de TVA. En dépit de ces sombres perspectives, les acteurs du luxe se montrent confiants. Et pour cause : le nombre de personnes fortunées au Moyen-Orient ne cesse de grimper et devrait connaître une hausse de + 40% d’ici à 2024. Des ménages qui dépensent, en moyenne, 2 000 dollars par mois en parfums, prêt-à-porter ou sacs à main.
Les comportements d’achat évoluent, l’industrie du luxe doit s’adapter
Parallèlement, les pays du Moyen-Orient connaissent une mutation aussi rapide que profonde des comportements d’achats, qui répond à plusieurs spécificités locales. Tout d’abord, une population jeune, très jeune même : la moitié des Moyen-Orientaux sont des Millennials de moins de 30 ans – une population particulièrement attentive aux prix, soucieuse de trouver un sens à ses achats, plus éduquée et, enfin, moins fidèle aux marques que ses aînés.
Surtout, le Golfe entame sa mutation numérique. Férue de nouvelles technologies, la clientèle aisée du Golfe est l’une des plus connectées au monde. En 2015, le taux de pénétration d’Internet dans la région atteignait 84% (contre 49,5% en moyenne dans le monde) et celui des smartphones 126% (contre 71% dans certains pays développés). « Internet transforme de façon déterminante le consommateur haut de gamme dans le Golfe », renchérit Anthony Chalhoub, co-fondateur du groupe de distribution.
Paradoxalement, le e-commerce ne représente encore que 2,6% du volume global des ventes au détail au Moyen-Orient, contre 7% au niveau mondial. Quant aux ventes de produits de luxe, elles ont plafonné en 2015 à 230 millions de dollars, soit 2,5% des ventes totales dans cette catégorie, analyse le Livre Blanc 2017 du groupe Chalhoub. Les marges de progression sont donc conséquentes, sachant que le commerce électronique dans le secteur du luxe devrait générer à terme 1,5 milliards de dollars. Autant de raison qui doivent pousser le secteur du luxe à « se réinventer sur le mode digital (pour) aborder le consommateur moderne avec un nouveau langage », centré sur l’omnicanal.
L’exception qatarie
Dans un marché morose en attente d’un nouveau souffle, le Qatar fait figure d’exception régionale. L’un des plus petits pays, mais aussi, grâce à ses exportations de gaz, l’un des plus riches du Moyen-Orient, multiplie depuis plusieurs années les investissements dans le secteur du luxe : les grands magasins Harrods à Londres et Le Printemps à Paris, la griffe italienne Valentino ou encore la marque Le Tanneur, sont tous passés sous pavillon qatari au cours des dernières années.
En 2016, c’est la maison de couture française Balmain qui a été rachetée pour près de 500 millions de dollars par le fonds d’investissement Mayhoola, soutenu par l’émir du Qatar. Une entrée au capital qui « permettra à la marque d’accélérer son développement, notamment avec l’ouverture de nouvelles boutiques à l’international ». « Avec le support financier du Qatar, Balmain (…) espère donc suivre la même trajectoire que Valentino grâce à son expansion au Moyen-Orient et aux Etats-Unis ».
A l’opposé du rigorisme wahhabite prôné en Arabie saoudite, la société qatarie se caractérise par une certaine ouverture, dans un pays où les autochtones ne représentent que 12% de la population et où la majorité des habitants est de confession hindouiste ou chrétienne. Les non musulmans peuvent d’ailleurs boire de l’alcool et disposent de leurs propres lieux de culte. Au Qatar, on ne coupe pas la main aux voleurs, et la peine de mort est suspendue depuis 2003. Et, si la société qatarie reste traditionnelle, les femmes, qui représentent 52% de la population active, ont obtenu en 1999 le droit de vote en même temps que les hommes. Définitivement ouvert sur le monde, le Qatar pourrait bien devenir, dans les années à venir, un véritable hub régional du luxe.