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Les grandes griffes du luxe se mettent peu à peu au digital, gage de transparence et d’une expérience client prolongée. Si Gucci, Louis Vuitton et Burberry font figure de pionniers en la matière, c’est bien le groupe LVMH qui fait, en 2018, la course en tête. Second volet de notre enquête sur la conversion numérique du secteur du luxe.
Longtemps réticents à sacrifier l’exclusivité et le prestige sur l’autel des nouvelles technologies, les grands noms du luxe sont de plus en plus nombreux à amorcer leur virage digital. La clientèle du luxe étant plus large, elle est aussi de plus jeune – et plus connectée. Alors que six ventes sur dix seraient aujourd’hui influencées par des recherches en ligne, « les clients du luxe attendent désormais que les marques soient digitales et agissent digitalement », analyse Christine Barton, associée au Boston Consulting Group (BCG).
En 2020, 12% des ventes du luxe se feront en ligne
Pendant longtemps, seules quelques griffes ont développé une stratégie digitale digne de ce nom. Burberry faisait la course en tête depuis 2006, date à laquelle la marque britannique a investi dans le marketing digital. Sur le podium, la marque au célèbre tartan est désormais suivie par Louis Vuitton et Gucci, qui se sont lancés dans la vente en ligne dès les années 2000. Hermès propose également, et depuis longtemps, une sélection d’accessoires iconiques sur son site Internet.
Mais les habitudes ont la vie dure. L’expérience client en boutique reste un élément différenciant, toujours apprécié des clients : selon le BCG, seuls 31% des clients français font des recherches en ligne avant d’acheter en boutique, contre 47% aux Etats-Unis. Les ventes en ligne ne représentent ainsi qu’une faible part du marché du luxe. En 2016, seules 7% des ventes du secteur étaient réalisées sur Internet. Une proportion qui devrait rapidement augmenter, et atteindre 12% d’ici 2020.
Ce d’autant plus qu’être digital-friendly n’est plus l’apanage des jeunes générations. Ainsi, « plus de 85% des millennials et 75% des baby-boomers et des générations plus âgées sont prêts pour des interactions multicanales, allant des achats en ligne au partage d’expériences ressenties sur les »magasins digitaux » sur les réseaux sociaux », analyse le cabinet de conseil. Les canaux digitaux jouent désormais un rôle prédominant dans la recherche d’informations avant l’achat. Et, après les photos de food, le luxe est le sujet le plus partagé par la communauté Instagram.
LVMH en pointe sur le digital
Premier acteur mondial du luxe, LVMH ne pouvait faire l’impasse sur le digital. Le groupe dirigé par Bernard Arnault multiplie les initiatives en la matière, et développe une stratégie digitale concertée – qui ne se limite pas aux ventes en ligne, même si celles-ci ont représenté 2 milliards d’euros en 2016, soit un peu plus de 5% des ventes totales du groupe. Ainsi, en 2015, l’entreprise a été la première marque de luxe à organiser un hackathon, intitulé Unlock the Future of Luxury : les 58 développeurs sélectionnés avaient deux jours pour imaginer une application destinée à mieux connaître les clients du groupe, et à anticiper les évolutions du luxe.
En mai 2017, LVMH a lancé 24 Sèvres, un site multi-marques dont le nom s’inspire de l’adresse du célèbre grand magasin parisien le Bon Marché. Exclusivement destiné aux femmes, le site propose une sélection de produits mode, cosmétiques et bagages. La plupart des maisons du groupe sont représentées, mais aussi certaines marques concurrentes, comme Gucci, A.P.C. ou Prada. Accessible dans 70 pays, 24 Sèvres entend concurrencer les Farfetch et autres Yoox Net-à-Porter, en proposant à ses clientes internationales « des choix très parisiens ».
A la même période, LVMH a également lancé le site Clos19, une plateforme qui propose aux amateurs de vins et de spiritueux les plus grands crus du groupe : Dom Pérignon, Hennessy, Moët&Chandon, Veuve Cliquot, Château D’Yquem, Cheval Blanc, etc. Comme en boutique, l’accent est mis sur la personnalisation des expériences. Les clients du Clos19 peuvent ainsi retrouver des conseils sur le choix des bouteilles, rencontrer les maîtres de cave, ou encore participer à des dégustations exclusives.
Mais c’est sans doute chez la maison mère du groupe, Louis Vuitton, que l’accent digital est le plus évident. S’il est, depuis longtemps, possible de personnaliser sa future malle Vuitton grâce à une interface en ligne, la marque au monogramme a également bien compris l’intérêt de répondre à l’exigence de transparence de l’opinion publique et de ses clients. Ainsi, Louis Vuitton propose sur son site une visite virtuelle de son atelier de prototypage et de son laboratoire de test. Objectif revendiqué : gagner en proximité, sans perdre en désirabilité.
Si Chanel refuse, pour l’heure, de céder aux sirènes du digital, son directeur artistique, Karl Lagerfeld, n’a pas les mêmes scrupules. Le célèbre designer allemand a ainsi équipé son concept store, à Saint-Germain-des-Prés, de cabines d’essayage connectées, qui permettent aux clients de se prendre en photo, d’appliquer des filtres – comme sur les applications stars des adolescents, telles que Vine ou Snapchat – et enfin de partager leur nouveau look sur les réseaux sociaux. Afin d’améliorer l’expérience client en boutique, le magasin dispose aussi de nombreux écrans tactiles permettant de découvrir les dernières collections ou les plus récents défilés du créateur.
« Le digital donne plus d’espace pour raconter de belles histoires »
L’important, cependant, est de ne pas tomber dans un effet gadget. Une montre Chaumet ou Jaeger LeCoultre n’a pas à imiter les prouesses technologiques d’une Apple Watch, dont chaque dernier modèle ringardise le précédent. « La technologie doit être mise au service du luxe, en révéler l’excellence, et non la dévoyer, met en garde Antoine Lorotte. Trouver cet équilibre c’est, pour une grande marque, s’inscrire dans la modernité sans perdre son héritage ».
Marjolaine Patureau, de l’agence Uzik Social, ne dit pas autre chose : « Le digital donne plus d’espace pour raconter de belles histoires et étonner avec des expériences uniques et exclusives ». Selon elle, il est clair que le numérique « a transformé la stratégie des marques de luxe : elles ont compris que leurs futurs clients seraient 100% digitaux ».