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La vague Me Too n’en finit pas de chambouler les codes liés au genre et d’interroger la masculinité contemporaine. En témoignent le lancement en Europe de la nouvelle gamme de cosmétiques masculins de Chanel, ou encore le dernier défilé Dior Homme au Japon.
« Toxic masculinity » : le dernier spot publicitaire de la marque américaine Gillette a fait parler de lui, et soulevé une vague de réactions à travers le monde. Intitulé « Boys will be boys ? », le clip, vu plus de 27 millions de fois sur la plateforme YouTube, s’inscrit résolument dans l’ère post Me Too, en montrant des hommes reprenant leurs fils, collègues ou amis lorsque ceux-ci font preuve d’agressivité, ou de comportements déplacés à l’égard des femmes. Et la célèbre marque de rasoirs de conclure sa publicité par un changement de slogan qui, de « The best a man can get », devient « The best a man can be ».
« Boy » de Chanel, « une nouvelle esthétique personnelle pour les hommes »
« Le meilleur qu’un homme puisse être » : et si cette nouvelle définition de la masculinité passait par l’adoption, par ces messieurs, du maquillage ? Les codes liés au genre ne cessent d’évoluer, et cela fait désormais longtemps que les hommes ne subtilisent plus, en cachette, les cosmétiques de leur épouse ; ils disposent aujourd’hui de lignes entières de crèmes et autres onguents spécifiquement pensées pour répondre à leurs besoins. Peu d’entre eux, en revanche, osent encore sauter le pas du maquillage à proprement parler.
En témoignent les échecs relatifs des pionniers en matière de maquillage masculin, tels que Jean-Paul Gaultier, avec sa ligne « Monsieur », en 2003, ou plus récemment Tom Ford, en 2013. Qu’à cela ne tienne : la maison Chanel a lancé, en septembre dernier à Séoul, sa nouvelle gamme de maquillage pour hommes, sobrement intitulée « Boy », comprenant un fluide teinté (65 euros), un baume à lèvres hydratant (38 euros) et un stylo pour les sourcils (40 euros). Une gamme rapidement devenue culte en Corée du Sud, un pays où le budget beauté pèse quelque 440 millions d’euros.
Surfant sur ce succès asiatique, la maison sise rue Cambon vient de lancer, début janvier, sa gamme « Boy » en Europe et aux Etats-Unis. « La beauté n’est pas une histoire de genre. C’est une histoire de style », argumente le site dédié de la marque – rempli de conseils beauté –, selon laquelle « cibler de plus en plus les besoins spécifiques des hommes peut conduire l’industrie à innover à travers de nouvelles gestuelles, de nouveaux produits multi-usages et de nouveaux formats ». « Comme Gabrielle Chanel empruntait des éléments de garde-robe masculine pour habiller les femmes, Chanel s’inspire du monde féminin pour écrire le vocabulaire d’une nouvelle esthétique personnelle pour les hommes », explique encore un communiqué de l’entreprise.
« L’expression de la virilité est questionnée »
Les codes de la cosmétique masculine, un marché qui représente 38,5 milliards d’euros dans le monde et devrait atteindre les 50 milliards en 2026, changent en effet à toute vitesse. « Les changements que l’on observe dans les cosmétiques reflètent certaines évolutions de la société », relève ainsi dans L’Express Audrey Roulin, directrice de l’axe beauté de l’agence Nelly Rodi. « La société se féminise, confirme l’anthropologue de la beauté Elisabeth Azoulay. (…) Face à cette montée en puissance de la parole des femmes, le rôle de l’homme est revisité, c’est l’expression elle-même de la virilité qui est questionnée ».
« L’homme n’a plus à s’infliger une virilité exacerbée et à correspondre à des modèles préétablis. Libéré des carcans traditionnels, il prend plaisir à explorer son unicité. Mais aussi, à s’occuper de lui et cultiver sa beauté », renchérit Nathalie Broussard, responsable communication scientifique de la marque Shiseido. De plus, selon Audrey Roulin, « la nouvelle génération Millennial (…) ne souhaite plus se définir par son genre, mais s’affirmer en tant qu’individu ». Rappelant que le « tabou » du maquillage pour homme « n’est pas si ancien », Elisabeth Azoulay estime ainsi qu’il « est fort possible que, d’ici quelques décennies, les barrières qui empêchent encore les hommes de se maquiller s’effondrent ».
Peter Philips (Dior) : « une nouvelle génération fait bouger les lignes »
Certains n’ont pas attendu que ces barrières psychologiques tombent. A l’image de l’ancien footballeur star David Beckham, qui a assumé d’être maquillé d’un trait de crayon vert pour la photographie de couverture du dernier magazine Love. Ou encore de Peter Philips, le directeur de la création et de l’image du maquillage chez Dior, co-auteur d’un défilé remarqué en novembre dernier à Tokyo : « J’ai toujours travaillé en coulisses des défilés masculins, confie-t-il au Figaro. Mais, auparavant, il n’y avait que deux options: la mise en beauté fonctionnelle, comme pour la télévision et le théâtre, et des looks très extrêmes, conceptuels, qui allaient dans le sens du spectacle. Lors de cette présentation tokyoïte, j’ai proposé un mélange des deux. Vous savez, beaucoup d’hommes utilisent des produits en se cachant ou alors ils en ont très envie. Or, sous l’influence des réseaux sociaux, une nouvelle génération de garçons et de célébrités, pas forcément gays ni excentriques, qui s’amuse avec des pigments et l’expose au grand jour, fait bouger les lignes ».