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En relançant Chanel au milieu des années 1980, le couturier a également propulsé Inès de la Fressange au pinacle de la mode, faisant d’elle le mannequin emblématique de toute une génération. La muse et égérie du plus célèbre des couturiers contemporains se souvient avec émotion de leur amitié, et avec respect du talent et de la ténacité d’un créateur aussi médiatique que secret.
« Pour la première fois, il m’a pris la main et ne l’a plus lâchée » : c’est pleine de tristesse et d’émotion qu’Inès de la Fressange, muse et égérie de Karl Lagerfeld, s’est remémorée dans les pages de Paris Match sa dernière rencontre avec le styliste de Chanel et Fendi, disparu le 19 février à l’âge de 85 ans. « C’était en septembre (2018) et il assistait à son ultime défilé de prêt-à-porter Chanel », explique l’ancienne mannequin star, qui avait invité, en vain, le « Kaïser » à célébrer le nouvel an ensemble. « Il m’a dit qu’il était enrhumé, ce qui voulait dire qu’il était au plus mal, et que Choupette, son chat, allait lui servir d’infirmière », glisse encore Inès de la Fressange.
Lagerfeld, « le roi du marketing de luxe »
La rencontre des deux icônes de la mode remonte à l’année 1983. Karl Lagerfeld vient de prendre les rênes de la maison de haute-couture Chanel, alors en grande difficulté ; à 25 ans, Inès court les castings. Au Figaro, l’amie du couturier confie que « cela s’est fait par hasard. Mannequin, j’allais régulièrement chez Chloé, dont il était le styliste. À chaque fois, l’attachée de presse me disait : »On vous rappellera », mais il ne se passait rien. Et puis un jour, je suis tombée sur Karl, qui m’a dit : »Ah, vous venez enfin me voir ! » et c’est ainsi que j’ai commencé à travailler pour lui et que l’on est devenus très amis ».
La stupéfiante ressemblance entre Inès de la Fressange et la fondatrice de la maison sise rue Cambon, Coco Chanel, convainc Karl Lagerfeld de la choisir comme égérie. Inès devient alors le premier mannequin à signer un contrat d’exclusivité avec une maison de haute couture : « Karl a inventé avec moi un nouvel emploi, se souvient-elle au cours de cet entretien accordé à France Info : une ambassadrice et porte-parole pour incarner Chanel. J’étais la représentante de la maison partout dans le monde. Tout s’est fait sur le tas, de façon spontanée et finalement assez époustouflante. Il m’a mise sur un piédestal par gentillesse et cela s’est révélé très utile. Il était un peu le roi du marketing de luxe ». Omniprésente, ultra-médiatisée et populaire, Inès de la Fressange accède alors au rang de star mondiale de la mode.
Inès de la Fressange : « Je lui doit tout »
L’ex-muse du créateur se souvient de cette époque qui a tant compté dans l’histoire de la mode : « Karl a inventé la relance des griffes de luxe qui, au début des années 80, avaient perdu beaucoup de leur prestige. C’est lui qui avec son irrévérence et sa créativité, a montré avec Chanel que c’était possible de retrouver le succès et le prestige que les marques avaient connus dans les années 50, et de façon encore plus universelle. Il faut rappeler que personne ne croyait à la relance de Chanel dans les années 80. Toutes les grandes griffes ont essayé de renouveler le phénomène, souvent avec des stylistes provocateurs comme l’était Karl. En quelque sorte, il a inventé le marketing des griffes du luxe qui participent toutes aujourd’hui au rayonnement de la France ».
La collaboration entre Karl et Inès prend brutalement fin en 1989, quand la seconde accepte de poser comme modèle pour le nouveau buste officiel de Marianne, l’emblème de la République française. « Je ne veux pas habiller un monument, c’est trop vulgaire », tranche alors le créateur avec la morgue dont il était coutumier. La brouille, qui les a selon le mannequin « éloignés mais pas séparés », perdure quelques années. Inès de la Fressange ne se montre pas rancunière : « Je lui dois tout », reconnaît celle qui, par la suite, a défilé pour les plus grands noms de la mode, de Jean-Paul Gaultier à Christian Dior, en passant par Yves Saint Laurent. Avant de s’imposer, grâce à sa ligne de prêt-à-porter éponyme et son ouvrage « La Parisienne », vendu à plus d’un million d’exemplaires, comme l’image de la féminité à la française.
Lagerfeld a « organisé sa vie comme un défilé spectaculaire »
Avec la mort de Karl Lagerfeld, « c’est toute une époque de la mode et de la haute couture qui disparaît, regrette Inès de la Fressange. Karl était extrêmement créatif et prolixe. Il n’a jamais voulu s’endormir sur les lauriers. Il était devenu une encyclopédie de l’histoire de la mode et du costume. (…) A chacune de ses six collections par an en couture et prêt-à-porter (Chanel, Fendi et sa griffe éponyme, ndlr), il n’a jamais refait des choses déjà faites ». « Je pourrais le comparer à un grand pianiste classique qui a beaucoup fait ses gammes avant d’improviser avec talent. Pour moi, Karl est un peu le Glenn Gould de la mode », confie son ancienne égérie et amie.
« Avec Karl on rigolait beaucoup », se souvient encore Inès, selon qui le styliste était « à l’opposé de ce que certains imaginaient de lui : ni guindé, ni snob, ni mondain. En fait, Karl ne faisait que travailler, tout le temps. Il dessinait sans cesse. Faisait beaucoup de recherches. Il ne sortait jamais, menait une vie monacale. Il refusait la facilité, mettant perpétuellement la barre très haut, comme s’il était impossible pour lui de se reposer sur ses lauriers », se rappelle-t-elle auprès de la journaliste Anne Fulda : Karl Lagerfel « a organisé sa vie comme un défilé spectaculaire, a préféré la gloire aux petits bonheurs quotidiens. Il le reconnaissait ». Et Inès de la Fressange de conclure dans Gala : « Avec Karl, ça a été la meilleure des écoles avec le meilleur des profs ».