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Depuis le premier cadran solaire de l’humanité, créé en Egypte autour de l’an 1450 avant J.C., jusqu’à « la révolution du quartz » il y a peu, en passant par l’apparition de la montre mécanique vers 1492, les hommes ont toujours cherché à contrôler le temps. Les instruments qu’ils utilisent ont certes évolué, mais ils restent toujours objets de fascination, à l’instar de l’Astrarium imaginé par Giovanni Dondi au milieu du XIVe siècle et considéré par beaucoup comme une des merveilles de son époque.
Aujourd’hui, pour aller à la rencontre de ceux qui maîtrisent l’art de la haute horlogerie, il faut se rendre dans la Vallée du Joux, située dans le canton de Vaud, en Suisse. Les Carnets du luxe ont décidé de profiter des Journées Particulières de LVMH pour visiter les ateliers de trois maisons historiques qui y ont élu domicile : Hublot, TAG Heuer et Zénith. Disposant chacune d’une identité propre, elles profitent de leur complémentarité pour partager un objectif commun : démocratiser le luxe, en produisant en grande quantité des montres de qualité.
Les marques et leur tradition d’innovation
D’après le classement de WorldTempus 2013, « les deux marques sœurs Zenith & Hublot » figurent dans le TOP 10 des marques horlogères de luxe. Située à moins d’un kilomètre de la frontière française, la manufacture Zenith a été fondée en 1865, avec l’ambition de contrôler la production du mouvement mécanique de ses montres, du début jusqu’à la fin. Le fondateur de la maison, Georges Favre-Jacquot, est notamment connu pour avoir été un pionnier dans l’automatisation de son industrie, s’inspirant de la révolution industrielle américaine dans l’automobile. Et c’est d’abord « afin de profiter des compétences des artisans réunis sous le même toit » que la manufacture industrielle a été créée. L’actuel directeur des ressources humaines, Pierre-Olivier Aguinalin, veille à préserver cet alliage de compétences et de talents, notamment en participant à l’École d’Horlogerie de LVMH aux côtés de TAG Heuer.
Pour son CEO, Jean-Claude Biver, TAG Heuer est une « marque globale » qui a vocation à s’exporter partout dans le monde. De Steeve Mc Queen à Michel Vaillant, les icones dont les images constellent les vitrines du musée Tag Heuer rappellent les relations étroites qu’entretient la marque avec le monde du sport en général, et de l’automobile en particulier. Comme l’explique la responsable du patrimoine de TAG Heuer, Catherine Eberlé-Devaux, la maison a participé au développement des compétitions automobiles sportives, en contribuant significativement à leur sponsoring, mais aussi grâce au développement de technologies souvent inédites pour l’époque.
Aujourd’hui, la firme, désireuse de s’adresser aux Millenials, s’est par exemple tournée vers l’artiste Alec Monopoly, street artist de renom, qui a imaginé une édition spéciale, la Formula 1, décorée à l’effigie de Mr. Monopoly, le petit banquier à l’allure débonnaire qui a fait sa célébrité. Une façon, selon Jean-Claude Biver, de « maintenir la présence globale de la marque » en s’appuyant sur un réseau d’ambassadeurs.
Troisième fabrique du groupe qu’il sera possible de visiter du 12 au 14 octobre, dans le cadre des Journées Particulières LVMH, la manufacture Hublot à la Vuarpillière de Nyon veut promouvoir, avec « l’Art de la fusion », un mélange de tradition et d’innovation. Pour l’initiateur de ces Journées Particulières, Antoine Arnault, l’opération consiste justement à « faire écho à l’esprit de transmission qui anime le groupe LVMH : faire découvrir, de l’intérieur, la diversité de notre patrimoine, la richesse de nos savoir-faire et la force de nos innovations ». Si la Haute Horlogerie suisse peut se féliciter d’avoir traversé les époques, elle a dû pour y parvenir relever les défis d’une aventure industrielle, en préservant un héritage gage d’authenticité et de fiabilité, tout en se tournant vers le progrès et la modernité.
Comment remettre les pendules à l’heure après la « révolution du quartz » ?
Car, à la fin du siècle dernier, les fabricants de montres suisses voyaient leurs parts de marché s’effriter face à la concurrence japonaise. En 2011, le journal Le Temps dresse une analyse comparative entre les manufactures suisses et l’industrie horlogère nippone. Réfutant l’idée couramment répandue selon laquelle « l’esprit conservateur » des patrons horlogers suisses serait à l’origine des difficultés des fabricants helvétiques, l’auteur constate plutôt « une véritable bipolarisation entre des montres de qualité dont la production n’est pas rationalisée et des montres bas de gamme fabriquées en masse ». Pour s’adapter, Pierre-Yves Donzé, historien et professeur à l’origine de l’article du Temps, indique toutefois « qu’une profonde restructuration du système de production » a été opérée en Suisse, « avec la généralisation à l’ensemble de l’industrie du système de production en masse qui était limité aux montres bas de gamme jusque-là ». Avant de conclure : « une rationalisation qui a permis ensuite de se focaliser sur le marketing ».
Une analyse au moins partiellement confirmée dans un article, daté du 25 juillet dernier, intitulé LVMH renforce sa domination du marché mondial du luxe. Le journaliste du Figaro Ivan Letessier y cite le directeur financier du groupe, Jean-Jacques Guiony : « tout le savoir-faire de nos équipes réside dans la capacité à gérer l’équilibre entre la désirabilité de nos marques et leur accessibilité. Elles augmentent la désirabilité, sans sacrifier les dépenses marketing pour augmenter la marge ». Et les résultats sont au rendez-vous : malgré des produits flirtant régulièrement avec les dix mille euros, une marque comme Hublot parvient à vendre 65 000 unités par an, tandis qu’à des prix sensiblement inférieurs, TAG Heuer écoule annuellement près de 700 000 unités.
Quand le luxe s’adresse aux communautés…
Pendant la finale de la Coupe du monde de football, la « Goal Ligne technology » intégrée à la montre Hublot de l’arbitre a-t-elle vraiment été décisive ? Difficile à dire. Toujours est-il qu’en tant que partenaire officiel de l’événement, la marque était sous le feu des projecteurs, potentiellement visible par plusieurs milliards de téléspectateurs. Or, comme l’explique le responsable du marketing chez Hublot, Philippe Tardivel, il faut être capable de s’adresser aux communautés. Par exemple, cela a conduit la marque à faire exécuter récemment un produit par le tatoueur Maxime Plescia-Buchi, ou encore à signer un partenariat avec le Musée des Arts premiers. Une stratégie gagnante puisque, que ce soit Karl Lagerfeld lors du défilé Chanel à Paris, où encore Didier Deschamps auréolé de sa deuxième étoile en Une du Parisien, les icones d’aujourd’hui n’hésitent pas à arborer fièrement les créations de la firme.
Mais la recherche de la modernité ne passe pas nécessairement pas un reniement du passé. La marque Zénith en sait quelque chose. En parcourant les allées de sa fabrique à Le Locle, on peut lire un extrait d’une lettre de Charles Vermot à sa direction : « Sans être contre le progrès, je constate que le monde est ainsi fait, dans ce sens qu’il y a toujours des retours en arrière. Vous avez tort de croire à l’arrêt total du chrono mécanique automatique ». L’homme, qui s’est opposé à la destruction des plans initiaux du mécanisme El Primero lors de « la révolution du quartz », restaurant ainsi la marque dans ses fondamentaux, restera à n’en pas douter comme une légende de la compagnie, presqu’au même titre que son fondateur, Georges Favre-Jacot.
L’avant-garde, un perpétuel recommencement…
Chez Zénith, on dénombre près de 300 collaborateurs mais on continue d’adopter une attitude de start-up qui ambitionne de façonner l’horlogerie de demain. Dans l’atelier des Grandes Complications, les maîtres horlogers sont responsables de A à Z des mouvements à grande complication (une complication est une fonction autre que l’affichage de l’heure et des minutes). Parmi les principales, on peut citer le Tourbillon qui permet notamment aux navigateurs d’atténuer les effets de la gravité sur le mécanisme de la montre ; un tel dispositif peut valoir entre 15 000 et 60 000 euros. Encore plus recherchée par les amateurs de montres mécaniques, la répétition minute peut quant à elle être facturée entre 200 et 300 000 euros. Sur ces ornements, les fabricants tentent chacun de se distinguer, soit par l’innovation en déposant des brevets, soit en cherchant à baisser les coûts. Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage…
Et pour assurer la transmission des talents et savoir-faire, TAG Heuer et Zenith se sont donc associées au sein de l’École d’Horlogerie LVMH, en partenariat avec l’Institut des Métiers d’Excellence LVMH, où Ronan Grégoire contribue actuellement à la formation de 12 apprentis. Plus qu’une de simple entreprise, TAG Heuer s’engage sur les principaux marchés mondiaux et emploie 400 personnes, parmi lesquelles Raphael Duty, désigné meilleur ouvrier de France 2011, et de nombreux autres talents.
De son côté, Hublot dispose d’un réseau de 90 boutiques et près de 580 salariés à travers le monde. Parmi eux, plusieurs scientifiques sont à l’origine du Magic Gold, un métal qui ne peut être rayé, résistant ainsi à l’épreuve du temps. Une forme de Graal pour un horloger.