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Alors que la saison des Fashion Week bat son plein, retour sur une édition londonienne plus punk, créative et virtuose que jamais.
« Anarchy In the UK » : plus de quarante ans après la sortie du plus célèbre titre des Sex Pistols, les rues de Londres ont, de nouveau, résonné au son des riff de guitare endiablés. La Fashion Week londonienne, qui se tenait du 13 au 18 septembre, a permis aux créateurs britanniques de redonner vie aux épingles à nourrice et crêtes iroquoises qui ont fait la légende du mouvement punk. Et, à quelques mois du Brexit – la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne devrait intervenir le 29 mars prochain –, de réaffirmer la singularité de Londres dans la planète mode. Comme un dernier pogo, avant de prendre le large pour de bon.
Anarchie maîtrisée
Boots paramilitaires, combinaisons moulantes et translucides, masques de super-héros, éventails brandis comme autant d’armes futuristes : pour son nouveau défilé printemps-été 2019, le jeune prodige Gareth Pugh a réussi un subtil mélange entre la culture club-punk des années 1980 et la scène drag contemporaine. Un défilé-hommage à son ami Judy Blame, styliste et icône de la scène punk, mort cette année à l’âge de 58 ans. « Judy était un homme sans compromis, incontrôlable et farouchement anti-establishment. C’était un créateur de l’extrême », a déclaré un Gareth Pugh bien décidé à reprendre le flambeau avec la virtuosité qu’on lui connaît.
Etoile montante de la scène londonienne, Matty Bovan, 26 ans au compteur, présentait aux fashionista son premier défilé officiel. Autant dire que la pression était grande sur les épaules du jeune homme, passé par Louis Vuitton, époque Marc Jacobs. Avec une maîtrise technique inversement proportionnelle à sa jeunesse, le créateur a aligné des créations plus audacieuses les unes que les autres, ses mannequins, véritables odes à la diversité, semblant émerger d’un conte punk auquel seule Londres pouvait servir d’écrin.
Michael Halpern, la coqueluche de la mode anglaise, et ses paillettes, JW Anderson, le designer irlandais que le groupe LVMH a recruté à la tête de Loewe, Nicholas Kirkwood et sa mode post-apocalyptique, Molly Goddard, qui ressuscite l’anarchie maîtrisée d’un John Galliano au sommet de sa gloire, ou encore MM6 Maison Margiela et ses coupes dark et déstructurées : tous nous ont rappelé que Londres reste Londres, et que Londres reste punk.
Aux origines du mouvement punk
Retour en 1976 : dans une Grande-Bretagne rongée par le chômage et l’ennui, les Sex Pistols dégainent « God save the Queen » et chantent « No future for us ». A la violence généralisée de la société anglaise, les premiers punks renvoient leurs provocations. The Clash, The Damned, et autres Stiff Little Fingers leur emboitent le pas et imposent des chansons courtes, rapides, aux mélodies simples, que n’importe quel groupe ou bande de jeunes désoeuvrés peut reprendre dans sa cave.
Les punks londoniens refusent l’hédonisme des hippies et des amateurs de disco. Pour la première fois dans l’histoire de la musique, leurs chansons parlent des difficultés de la vie, de la maladie, du sexe – autant de thèmes radicaux, alors largement ignorés, tabous. Autodidacte, la scène punk impose aussi ses looks Do It Yourself : épingles à nourrice en guise de boucles d’oreille, vêtements cintrés, perfecto de cuir et rangers noirs et, bien-sûr, l’iconique crête iroquoise, de préférence colorée.
Sorti des salles de concert, le punk devient rapidement un phénomène culturel et de société. Mais il finit par se défaire dans la vague new wave et ska et, au milieu des années 1980, l’avant-garde autrefois subversive n’est plus que l’ombre d’elle-même. Le punk est « devenu un phénomène de mode, une sous-culture dûment identifiée, répertoriée, récupérée par l’industrie musicale », regrette par exemple l’écrivaine et cinéaste américaine Chris Kraus. Mais s’il ne devait en rester qu’une, qui depuis les débuts du mouvement n’a jamais été « répertoriée » ni « récupérée », c’est bien Vivienne Westwood.
Vivienne Westwood, l’indéboulonnable prêtresse punk
Véritable mythe punk, Vivienne Westwood (ici peinte par l’artiste Biagio Black) rencontre le manager des Sex Pistols, Malcolm McLaren, dans les années 1960. C’est avec lui qu’elle ouvre, en 1971, le Paradise Garage, une boutique foutraque sise au 430 Kings Road. Successivement renommée Garage, Let it Rock, Too Fast To Live Too Young To Die, Sex et World’s End, c’est dans cet antre que la créatrice, aujourd’hui âgée de 77 ans, forge sa légende.
A l’instar des Jean-Paul Gaultier, Marin Margiela ou Thierry Mugler, le punk court toujours dans les veines de Vivienne Westwood. Celle qui met aujourd’hui son énergie au service de causes environnementales ou pacifistes essaie toujours, en 2018, « de glisser un imprimé de camouflage, parce que nous nous battons maintenant pour sauver le monde. Et les punks adorent se battre ». Alors, Punk is dead ? Pas de sitôt…