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Timidité maladive, perfectionnisme virant à la folie, volonté de tout contrôler : la personnalité de Hedi Slimane n’a d’égale que son anti-conformisme. Second volet de notre portrait du styliste vers qui tous les regards convergent, alors qu’il s’apprête à reprendre les rênes de Céline.
Retour aux sources. En 2012, Hedi Slimane réintègre la maison de ses jeunes années, Yves Saint Laurent. Nommé « directeur de la création pour la couture », selon ses propres mots, le styliste délocalise son studio de création à Los Angeles, sa ville d’élection depuis son départ de Dior Homme, en 2007.
Un retour aussi mouvementé que remarqué chez Saint Laurent
Au rênes de Saint Laurent Paris, la nouvelle appellation de la marque, Hedi Slimane apporte un coup de jeune à la griffe. Bénéficiant d’une totale liberté et des fonds subséquents, le designer revoit entièrement l’esthétique des boutiques, de la communication et des publicités de la griffe. Il modifie profondément l’univers de Saint Laurent à son image. Avec un succès certain.
Grâce au soutien inconditionnel de Pierre Bergé et du PDG de Kering, François-Henri Pinault, Hedi Slimane relance la croissance de Saint Laurent – une gageure, en temps de crise économique. Rompant avec les codes de son prédécesseur, il rend la marque de nouveau désirable auprès d’un public plus jeune, tout en s’attirant, par son audace, les critiques des observateurs du milieu. Ceux-ci lui reprochent, entre autres, de se contenter de reproduire chez Saint Laurent l’esthétique rock&roll qui a fait son succès lors de son passage chez Dior.
Sa volonté de tout contrôler, de la ligne pour femme au design des bijoux en passant par les parfums, irrite également ses employeurs. Le 1er avril 2016, un communiqué du groupe Kering officialise la rumeur : malgré le succès commercial, Hedi Slimane quitte Saint Laurent, et laisse sa place à Anthony Vaccarello. « Ce qu’a accompli Yves Saint Laurent ces quatre dernières années restera comme un chapitre unique dans l’histoire de la Maison, déclare François-Henri Pinault à cette occasion. Je suis très reconnaissant à Hedi Slimane ».
Un sentiment qui n’est pas manifestement pas réciproque, le styliste intentant, à la suite de son départ, une action en justice contre son ancien employeur pour « rupture abusive de contrat ». Le tribunal de commerce de Paris donnera raison à Hedi Slimane et condamnera le groupe Kering, en juin 2016, à lui verser 13 millions de dollars.
L’amateurisme revendiqué
Et si les raisons de ce départ précipité ne tenaient pas tant aux clauses contractuelles, qui le liaient au groupe de François-Henri Pinault, qu’à la personnalité de Hedi Slimane ? Depuis toujours, le styliste français cultive une discrétion que d’aucun qualifient de maladive : peu ou pas d’interviews – la seule qu’il accordera en quatre ans sera réalisée, par mail, pour le compte du site Yahoo –, des apparitions de plus en plus brèves à la fin de ses défilés, des photographies le montrant, le plus souvent, le regard dans le vague…
Autant d’attitudes qui rappellent ses débuts chez Dior Homme, quand le discret Slimane partageait l’affiche avec les flamboyants John Galliano ou Victoire de Castellane, respectivement en charge de la femme et des bijoux au sein du groupe amiral de LVMH. Une discrétion et un silence qui, à l’heure où les designers stars se confient régulièrement sur Twitter et Instagram auprès de leurs millions de followers, étonnent.
« J’ai toujours privilégié l’amateurisme (« celui qui aime ») plutôt que le professionnalisme, l’attirance plutôt que l’expérience, se justifie Hedi Slimane. C’est ce qui oblige les professionnels du secteur à se renouveler et à penser d’une manière nouvelle ». Quant aux critiques sur la radicalité de sa ligne esthétique, voici comment le designer leur répond : « La mode masculine est figée dans un conservatisme terrifiant qu’il faut contourner. La rue est le théâtre de mouvements beaucoup plus intéressants », confie-t-il au Monde en 2005.
« Ce qui m’intéresse, c’est de vivre mon époque et non de me projeter dans une autre à travers le vêtement. Dans la mode, tout procède du témoignage », explique-t-il encore au quotidien du soir. « Je ne fais qu’observer, et le style entre en jeu ensuite. J’aime voir comment les habitudes, les comportements et le corps évoluent. Tout est assez incarné, mes repères sont les gens qui m’entourent ». En témoignent ses photographies, activité qu’il a repris à plein temps à la suite de son départ de chez Saint Laurent.
« Virtuosité esthétique absolument unique »
« Naturellement, la photographie sera toujours là, cependant, je n’ai jamais eu l’intention d’arrêter la mode, révèle cependant Hedi Slimane au New York Times, en 2016, à l’occasion de la publication de son New York Diary. Je n’ai jamais dit que j’arrêterai de créer dans le futur ». Annoncé chez Chanel en remplacement d’un Karl Lagerfeld vieillissant, c’est donc finalement chez Céline que le styliste exercera sa créativité sans pareille.
« Son arrivée chez Céline conforte les très grandes ambitions que le groupe LVMH a pour cette maison (…), se réjouit Bernard Arnault, patron de l’empire du luxe. Il en fera, j’en suis certain, l’une des maisons françaises les plus emblématiques. Il nous apportera sa vision globale du monde et sa virtuosité esthétique absolument unique ». Même son de cloche chez Sidney Toledano, membre du comité exécutif de LVMH : « Designer d’exception, artiste complet et passionné, Hedi Slimane saura apporter à la Maison Céline son énergie créatrice et son exigence, pour la conduire vers de nouveaux succès. »