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Fondatrice de la marque Made in A, Alexandra propose un contrepoint à la surconsommation en promouvant le recyclage. Sa spécialité : transformer des jeans Levi’s en pièces uniques. De quoi donner une nouvelle vie à des classiques de nos garde-robes, en y injectant une bonne dose de fantaisie et de singularité. Les Carnets du Luxe sont allés à la rencontre de cette créatrice passionnée, experte du denim de seconde main.
Aïssata
Haïdara
Les Carnets du Luxe : Pouvez-vous décrire votre marque en quelques mots pour nos lecteurs ?
Alexandra : Si je devais décrire ma marque en un seul mot, je dirais « conceptuel ». Mon objectif est de me démarquer en offrant des vêtements singuliers, sortant des stéréotypes de la mode conventionnelle. J’adopte une démarche consistant à prendre un produit de base et à le transformer en quelque chose de complètement différent via l’upcylcing.
LCDL : Comment est née Made in A ?
Alexandra : Ma sœur, ma première fan et modèle, a joué un rôle clé dans le lancement de mon projet. A 15 ans, j’ai déniché un jean 501 pour créer ma première pièce, une veste kimono, que je lui ai offerte. Depuis mon plus jeune âge, je suis passionnée de culture japonaise et je m’en inspire librement. J’ai toujours été attirée par les choses uniques et je voulais porter des vêtements que les autres n’avaient pas. Comme je ne correspondais pas au stéréotype de la minceur omniprésent dans la sphère fashion, je voulais me différencier et briser l’idée que les filles avec des formes ne savent pas bien s’habiller. J’ai commencé à expérimenter avec mes cheveux dès mon plus jeune âge, en essayant différentes couleurs. J’ai toujours été une personne en marge sur le plan stylistique. Ma sœur disait de moi que j’étais avant-gardiste. Sans en avoir conscience, je faisais déjà de « l’upcycling », étonnement très en vogue actuellement. Au fil du temps, j’ai découvert les œuvres d’Issey Miyake, Yohji Yamamoto, Martin Margiela et Jean Paul Gaultier, qui sont devenus mes maîtres dans le monde de la mode.
Tout a changé pendant le premier confinement, lorsque j’ai rencontré un journaliste, Abou Séga, qui a adoré l’une de mes vestes. Au départ, je n’avais pas prévu de créer ma marque, mais sa demande m’a poussée à la remise en question. Voulais-je passer le reste de ma vie à travailler pour quelqu’un d’autre ? Finalement, encouragée par mon entourage après une démission mûrement réfléchie, je me suis lancée. J’ai commencé en septembre 2022, dans un pop-up store et ce fut d’emblée un réel succès. La gérante du magasin m’appelait tous les jours pour me dire que j’avais vendu une autre veste. En seulement dix jours, sur les quinze que j’avais déposées, onze ont trouvé preneur.
@Aïssata Haïdara
LCDL : Votre processus créatif n’appartient qu’à vous, pouvez-vous nous en dire un mot ?
Alexandra : Je confectionne en particulier des vestes kimono et noragi. Je commence avec différents jeans de la marque Levi’s uniquement, pour une meilleure qualité, que je découds entièrement à la main pour en récupérer les parties utilisables. Je me fournissais en Italie, mais il est devenu très compliqué de trouver des jeans Levi’s, alors je chine sur Vinted où j’ai trouvé deux ou trois fournisseurs.
Les coutures peuvent varier en fonction des années et des modèles de jeans, aussi, chaque pièce nécessite un travail minutieux et plus périlleux qu’on ne le penserait. Mes tailles varient du XS au XL, j’utilise le même patron, base que je modifie en fonction de mes envies, choisissant ensuite les associations de tissus. Mon patron de base est masculin, mais je peux l’ajuster en fonction des demandes. Les vêtements que je crée sont unisexes, donc même un XS pour homme peut être ample pour une femme de petite taille. Je prévois de continuer dans cette voie de création, oversize, confortable, non-genrée, c’est mon identité. J’ai également commencé à faire des Teddy en m’inspirant des sherpas. Cela m’oblige à investir dans des tissus neufs, pour l’intérieur des vestes, comme les doublures et la fausse fourrure, afin de conserver une qualité supérieure. Il est difficile de trouver ces tissus de bonne qualité en seconde main.
LCDL : Quels sont les principaux freins à lever pour accélérer le développement de Made in A ?
Les difficultés résident dans les finances et le fait d’être seule. J’ai du mal avec les réseaux sociaux. Ma sœur m’aide beaucoup, mais je ne la vois qu’une fois par semaine pour faire des photos, car elle pose comme mannequin pour mon site. Gérer tout toute seule et endosser différentes casquettes peut être accablant. Ce qui m’agace le plus, c’est d’attendre que les promesses se concrétisent. Je déteste quémander et courir après les gens. Si quelqu’un souhaite s’investir dans mon projet, il le fera de lui-même, j’en serais d’autant plus touchée. Jusqu’à présent, je n’ai pas encore vu de retour sur investissement pour les coûteux pop-up stores parisiens. Dernièrement, j’ai été contactée par une plateforme en ligne appelée NIDEL, qui prend une commission de 10% sur les ventes. Ils sont actuellement présents en France, mais prévoient de s’étendre à l’Europe. J’espère que cela me permettra de gagner en visibilité.
Mes projets futurs sont encore un peu flous, mais j’aimerais démarcher d’autres boutiques pour y déposer mes pièces et les vendre. Pourquoi pas au-delà des frontières françaises. Je souhaiterais également élargir ma gamme de produits en proposant des jupes et des vêtements pour enfants. En continuant de faire dans l’unisexe, évidemment. Il est primordial pour moi de continuer à recycler, à transformer, et rester fidèle à ce processus de création.
@Aïssata Haïdara
LCDL : Quelle est votre vision du luxe ?
Le luxe, en termes de mode, c’est pouvoir créer ce que l’on veut. Avoir des pièces uniques et durables, où la marque n’est pas explicitée, plutôt que de se concentrer sur l’aspect « m’as-tu vu ». Personnellement, je n’aime pas les logos, cela me rebute lorsque j’achète des vêtements.
LCDL : Quels conseils donneriez-vous aux futur(e)s créateurs/créatrices ?
Crois en toi, entoure-toi de bonnes personnes et ne baisse pas les bras ! Je ne pourrais jamais remercier assez ma famille pour leur soutien. Il est important de surmonter l’idée souvent parasitante d’imposture, de se positionner sur le prix de ses pièces, même si la marge est minime, et trouver sa place en tant que créatrice au sein de l’industrie de la mode. Tu ne pourras jamais plaire à tout le monde, et c’est tant mieux ! Actuellement, j’avance pas à pas et je saisis les opportunités qui se présentent à moi. L’avenir nous révèlera la suite de Made in A, que je souhaite positive.
Propos recueillis par Charlie Boutemy, sur le thème de la marque « Made in A »