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Du 6 au 25 novembre 2023, la mairie du XVIe arrondissement de Paris accueille l’exposition « Mémoire d’une élégante ». Entièrement gratuite, elle est à visiter du lundi au samedi de 14h à 19h. Laetitia Hedde, la curatrice de cet évènement, a accepté de répondre aux questions de notre Rédaction.
Aïssata
Haïdara
Les Carnets Du Luxe : Pour cette exposition, vous avez fait le choix d’aborder le thème de la haute couture parisienne à travers le regard d’une première vendeuse au sein d’une maison de luxe. Comment l’idée de cet angle inhabituel vous est-elle venue ?
Laetitia Hedde : C’est l’histoire d’une rencontre ; j’ai fait la connaissance en 2015 de Françoise Petit, première vendeuse pour des maisons de haute couture.
Ce fut le début d’une amitié profonde et sincère fondée sur l’admiration et l’amour de l’élégance. Elle m’a fait don de ses archives de mode. Dans une volonté de transmission, j’ai monté cette exposition qui aborde le métier de première vendeuse. C’est un angle inhabituel mais à vrai dire il s’est imposé à moi. L’exposition « Mémoire d’une élégante » décline plusieurs thématiques, notamment le rôle des mannequins cabine, la fête de la Sainte-Catherine, un vestiaire griffé de maison de couture, les clientes des maisons de haute couture parisienne photographiées par les frères Séeberger: tout ceci constitue le témoignage d’une époque.
LCDL : Le spectateur découvre donc la haute couture par les souvenirs de cette vendeuse. Quelle période est concernée exactement et en quoi est-ce une période particulièrement intéressante pour la mode à Paris ?
Laetitia Hedde : Cette exposition couvre une période très vaste, de 1920 à 1970, avant l’avènement du prêt-à-porter.
Cette période était très féconde et quantité de rebondissements ont eu lieu. Beaucoup de créateurs venaient s’établir à Paris et fonder leur maison de couture ; les acheteurs étrangers se déplaçaient pour acheter les toiles de maisons de haute couture parisiennes.
Cette exposition met en avant les maisons de haute couture parisiennes, telle Lanvin ou Chanel. De nombreuses robes sont griffées par de célèbres maisons de couture, Lucien Lelong, Molyneux, Worth, Castillo.
LCDL : Quelles sont les maisons pour lesquelles Françoise Petit a travaillé et quelles étaient précisément ses missions ?
Laetitia Hedde : Françoise Petit a travaillé plus de 30 ans auprès de la maison Lanvin et 14 ans pour la maison Chanel. Ses missions étaient multiples et très variées : elle devait trouver de nouvelles clientes et les fidéliser, connaître parfaitement les modèles de la maison de couture, savoir reconnaître les tissus pour les conseiller aux clientes, garder en mémoire les silhouettes de chaque cliente (fiche de mesures des clientes) pour leur soumettre des modèles qui conviendraient à leur silhouette.
À la suite des présentations des collections qui avaient lieu tous les après-midi dans les maisons de couture, les clientes sélectionnaient un modèle qui leur plaisait. Puis elles étaient conseillées par les premières vendeuses, elles pouvaient choisir un autre tissu et faire des ajustements. Les premières vendeuses étaient des femmes qui avaient un goût exquis et qui savaient camoufler par leur choix astucieux les « défauts » des clientes.
LCDL : Votre exposition offre un témoignage précieux sur la mode de cette époque mais aussi sur le métier de vendeuse dans le domaine du luxe. Vous êtes également personal shopper et connaissez donc très bien le fonctionnement des grands magasins d’aujourd’hui. Quels changements avez-vous remarqués ?
Laetitia Hedde : J’ai constaté un regain d’intérêt pour le vêtement vintage, les grands magasins possèdent désormais des stands.
En ce qui concerne le prêt-à-porter, je constate une uniformisation des coupes. Il existe pour moi trois catégories de prêt-à-porter aujourd’hui, le premier très bon marché, je le nomme « je te jette demain », le second qui est un peu plus qualitatif, « je te garde un peu plus », et la dernière catégorie luxe, « je te garde des années ».
Je conseille à mes clients de franchir le cap du sur-mesure, il n’y a pas de grandes différences de prix entre le prêt-à-porter et le sur-mesure ; commencer par un pantalon, est une bonne première étape.
LCDL : Au niveau de la clientèle, qui étaient les acheteurs de Françoise Petit ? En quoi sont-ils différents de ceux d’aujourd’hui ?
Laetitia Hedde : Les acheteurs de Françoise Petit étaient multiples et variés. Cela comprenait les acheteurs étrangers qui acquéraient des toiles pour les reproduire, des célèbres familles françaises et étrangères, les épouses de célèbres industriels. Pour vous donner quelques noms, elle habillait Claude Pompidou, certaines femmes de la famille Rothschild, la dernière femme d’André Malraux, la dernière épouse de Sacha Guitry…
Auparavant, beaucoup de clientes étaient fidèles à une maison de couture. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.
LCDL : Vous avez réussi à réunir les archives et objets du quotidien de Françoise mais aussi un vestiaire griffé ainsi que des accessoires de haute couture. Qui sont les partenaires de cet événement et comment avez-vous collaboré avec eux ?
Laetitia Hedde : J’ai organisé ce projet avec la collaboration scientifique du Palais Galliera, musée de la Mode de la ville de Paris. Ils ont aussi participé à la communication de cet événement en le relayant sur leurs réseaux sociaux. Je suis très heureuse de cette collaboration.
LCDL : Vous avez choisi de nommer cette exposition « Mémoire d’une élégante », d’employer le terme « élégante » comme substantif et non comme adjectif ; cet usage existait-il du temps de Françoise, et, si c’est le cas, que recouvrait-il en termes de sens ?
Laetitia Hedde : Le mot « élégance » était très utilisé par Françoise Petit de son vivant. C’est un mot riche de sens qui renvoie à beaucoup de choses, qui dépasse certains domaines, tout en étant difficile à définir ; il y a une grande part de subjectivité. Tous les créateurs et les personnes travaillant de près ou de loin dans le monde de la mode ont leur propre définition de l’élégance. Par l’emploi de ce mot « l’élégante », je voulais montrer que c’est un état d’être, une forme de poésie que l’on peut introduire dans notre quotidien. C’est exactement comme cela que le vivait Françoise Petit.
LCDL : Pour conclure, pouvez-vous nous dire quelques mots de votre parcours et de vos projets à venir ?
Laetitia Hedde : Je suis guide conférencière avec une spécialité en histoire de la mode. Depuis une dizaine d’années, j’accompagne certaines personnes dans le choix de leur vestiaire.
Je souhaiterais que cette exposition soit itinérante et dépasse nos frontières.
Je prévois de passer le concours de conservateur du patrimoine pour pouvoir intégrer l’équipe permanente d’un musée de la Mode.