|
|
Le nom d’Alain Lombard est apparu dans les médias ces dernières semaines à l’occasion de sa désignation comme directeur de la prestigieuse Collection Lambert d’Avignon. Mais la carrière de ce grand animateur culturel est bien plus riche. Il a été Secrétaire général de la Villa Médicis, Directeur Régional des Affaires culturelles en Rhône-Alpes, Administrateur général du Musée d’Orsay… Il enseigne également les relations culturelles internationales à l’Université Paris Dauphine, question à laquelle il a consacré une synthèse qui fait autorité. C’est donc à la fois le théoricien et le témoin que nous avons interrogé.
Alain
Lombard
Guillaume de Sardes : Les échanges culturels entre États étaient particulièrement développés sous l’Ancien régime. Vous avez exercé d’importantes responsabilités à la Villa Médicis, qui est héritière d’une prestigieuse tradition en ce domaine. La continuité est-elle réelle avec les politiques anciennes, ou seulement d’apparence ?
Alain Lombard : On a pu parler d’un véritable modèle français de politique culturelle internationale, disposant de caractéristiques qui lui sont propres, et parmi celles-ci figure en effet l’ancienneté et l’importance de l’engagement de l’État dans les relations culturelles internationales. Nos rois avant-hier, nos présidents hier comme aujourd’hui s’y sont beaucoup investi, plus sans doute que d’autres dirigeants à travers le monde. Ces dernières décennies ont cependant été marquées par un certain désengagement de l’État, du fait de l’évolution de la société, de la multiplication des acteurs de la vie culturelle internationale, et aussi des effets de la rigueur budgétaire. Notre président actuel semble vouloir redonner toute sa place à la diplomatie culturelle.
GS : L’universalisme qui caractérise la pensée politique française depuis les Lumières et la Révolution a-t-il contribué à forger en France une diplomatie culturelle unique en son genre ?
AL : On se moque quelquefois en France du messianisme américain, qui a pu s’exercer avant que ne s’impose plutôt aujourd’hui le repli sur soi, mais l’universalisme français n’en est en effet pas très éloigné. La culture française, dans les documents officiels, a vocation à « rayonner », et si notre politique culturelle internationale prône le dialogue et la diversité culturelle elle n’en est pas moins fondée sur la conviction que la France et sa culture ont beaucoup à apporter au monde.
GS : Les milieux politiques contemporains restent-ils sensibles à l’importance de la diplomatie culturelle, ou peine-t-on à les en convaincre ? Le luxe est-il (ou pourrait-il être) un relais de cette diplomatie ?
AL : Les réductions de crédits qu’a dû subir notre réseau culturel français à l’étranger pourraient plaider pour un certain retrait de l’importance donnée à la diplomatie culturelle au cours de ces dernières années. Notre dispositif reste cependant important, et tient largement son rang. Et à côté de l’action des pouvoirs publics de nombreux autres acteurs participent à l’action culturelle internationale. Les industries du luxe en font évidemment partie.
GS : Les arts du luxe comme la haute couture participent-ils au rayonnement international de la France au même titre que les formes de création plus traditionnelles ?
AL : Les arts du luxe sont un puissant vecteur du rayonnement international de la France. Ils participent des industries créatives, qui prennent un poids croissant dans les échanges internationaux. Le Comité Colbert, qui regroupe un grand nombre de maisons de luxe, a une politique internationale très active, de même que la Fédération de la Haute Couture et la plupart des regroupements professionnels de ce secteur.
GS : Quand on parle d’échanges culturels internationaux, on pense surtout aux grands médias « populaires » comme le cinéma. Les arts plastiques, avec leur diffusion plus confidentielle, jouent-ils malgré tout un rôle dans ce processus ?
AL : Le livre et la presse, le cinéma et l’audiovisuel, la musique, l’architecture aussi, constituent bien sûr les chiffres d’affaires les plus importants à l’exportation au sein du secteur créatif. Mais les arts de la scène et les arts plastiques ne sont pas négligeables au sein des échanges culturels internationaux. La Biennale de Venise constitue chaque fois, comme la Foire de Bâle et les dizaines de biennales et de foires qui se sont développées ces dernières années, des baromètres scrutés avec attention sur la place des artistes de chaque nationalité sur la scène artistique internationale. Des livres passionnants ont été consacrés à la stratégie qui a permis aux artistes américains de s’imposer au sortir de la seconde guerre mondiale, et l’importance des moyens qui ont été consacrés à cette stratégie montre bien qu’il s’agit d’un enjeu majeur.
GS : Vous avez été Directeur régional des Affaires culturelles, vous dirigez désormais une magnifique collection d’art contemporain loin de Paris : y a-t-il une place internationale pour des établissements ou des événements non parisiens ?
AL : Paris reste un pôle d’attraction inégalé, et offre notamment une richesse d’expositions artistiques de haut niveau dont ne dispose aucune autre capitale à travers le monde. Mais la Biennale de Lyon a une véritable reconnaissance internationale, les expositions qui sont organisées dans les musées de Lyon ou de Grenoble rayonnent également, et le Sud de la France a vu ces dernières années fleurir les institutions publiques et privées qui proposent aujourd’hui un parcours d’une qualité exceptionnelle dans le domaine de l’art contemporain, reconnu par un nombre croissant d’étrangers. Une institution comme la Collection Lambert dispose d’une visibilité internationale ; elle a déjà présenté des expositions à Rome et à Münster, et nous préparons de nouvelles expositions à Palerme et à Moscou. Il y a bien sûr de la place aujourd’hui pour des initiatives qui se passent ailleurs qu’à Paris !