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Du 6 juillet au 26 août, le Château La Dominique, Grand Cru Classé à Saint-Emilion, accueille pour la première fois une exposition d’art contemporain. « Le rouge des villes et des forêts », présenté dans le cadre somptueux du cuvier de la propriété, signé de l’architecte français Jean Nouvel, propose aux visiteurs une sélection d’une trentaine d’œuvres d’artistes internationalement reconnus : Gilbert et George, Sarkis, Alberola, Buren, Jean-Pierre Raynaud, Patrick Tosani, etc. Camille Poupon, responsable de la communication des propriétés du groupe Fayat, revient pour Les Carnets du Luxe sur la genèse de l’exposition, les enjeux actuels des grandes marques du vin et les liens qui unissent art et production viticole. Ou comment réinterpréter, au XXIe siècle, l’articulation entre nature et culture.
La rédaction : Quelle fut la genèse de l’exposition ?
Camille Poupon : L’idée de proposer une exposition d’art contemporain sur la propriété remonte à la construction de notre nouveau cuvier, imaginé par l’architecte internationalement reconnu Jean Nouvel. Sorti de terre en 2013, le chai a accueilli ses premières vendanges en septembre de la même année. En avril 2014, il a ouvert ses portes aux visiteurs et est désormais accessible au public sept jours sur sept en haute saison. Une pratique désormais courante dans le Bordelais, mais dont il convient de rappeler qu’elle était encore très minoritaire voici une dizaine d’années. Pendant très longtemps, les propriétés viticoles sont restées des espaces fermés à l’extérieur ; seuls les professionnels du vin, les acheteurs et les journalistes spécialisés pouvaient prétendre pousser les portes de leurs chais. Aujourd’hui, heureusement, les choses ont évolué.
C’est dans cette démarche d’ouverture que la famille Fayat, propriétaire du domaine, a résolument choisi de s’inscrire en faisant appel à Jean Nouvel. Entre la visite guidée du domaine viticole, la découverte de ses vins, et la présence sur son toit d’un restaurant gastronomique, le Château La Dominique propose aujourd’hui une offre véritablement différenciante, qui suscite l’intérêt et la curiosité.
La famille Fayat a également exprimé une forte volonté de reconnecter le domaine avec ses clients particuliers – un mouvement à l’œuvre aussi bien dans les propriétés viticoles que chez la plupart des grands noms du luxe. En confiant depuis toujours la vente de ses produits aux seuls intermédiaires, courtiers et négociants – une force commerciale dont les meilleures propriétés ne peuvent se passer, mais qui témoigne aussi de la qualité de leurs bouteilles -, le monde du vin s’est sans doute, peu à peu, éloigné du consommateur final. Avec une offre désormais extrêmement concurrentielle et mondialisée, le client ne développe plus aujourd’hui le même attachement à la marque qu’il le faisait, peut-être, autrefois.
Pour y remédier en partie, il nous fallait accueillir ces consommateurs finaux sur place, à la propriété, dans un lieu signature. Enfin, nous savons aussi qu’aujourd’hui, le consommateur ne se contente plus d’être simplement amateur d’un produit, aussi luxueux soit-il. Il veut tout connaître de ses secrets de fabrication, des coulisses de sa conception. Aimer un vin et décider de l’acheter régulièrement suppose désormais d’entretenir une relation de proximité avec lui. C’est pour cette raison que nous tenons à dépasser la dimension strictement technique de notre produit. Un grand vin, c’est aussi tout un art de vivre, une manière singulière de voir et concevoir le produit,de porter une certaine vision, une certaine philosophie. Autant d’éléments qui comptent beaucoup aujourd’hui dans la construction de nos marques.
LR : Pouvez-vous nous en dire davantage sur le cuvier dessiné par Jean Nouvel ?
CP: Le groupe Fayat est le plus grand groupe de BTP indépendant français. La famille Fayat, implantée depuis plusieurs décennies dans le Libournais, a acheté le Château La Dominique en 1969 – nous fêterons donc très bientôt les cinquante ans de cette acquisition. Le domaine est, depuis 1955 et la publication du premier classement de Saint-Emilion, Grand Cru Classé, une distinction qu’il n’a jamais perdue depuis. L’atout principal de ce classement de la rive droite de Bordeaux réside dans le fait que, contrairement au classement de la rive gauche, celui-ci est réactualisé tous les dix ans. Une contrainte qui a le mérite de pousser les propriétés viticoles, qui souhaitent conserver leur place ou progresser dans le classement, à se montrer extrêmement dynamiques, à innover et à valoriser leur patrimoine.
Par son métier, la famille Fayat cultive naturellement des affinités avec de nombreux architectes renommés. Le groupe a collaboré avec Jean Nouvel pour l’édification du Musée du Quai Branly, à Paris – une influence se retrouvant dans les lignes du cuvier du Château La Dominique qui, observé de l’extérieur, a tout d’un espace muséal. Il était donc évident, pour la famille Fayat, de faire appel à Jean Nouvel, au souffle et au geste architectural qu’il allait nécessairement apporter à cet ambitieux projet. D’une certaine manière, le lien entre ce bâtiment, d’une conception très esthétique, et l’art contemporain, s’est alors imposé de lui-même. Accueillir une exposition en son sein était, en quelque sorte, déjà inscrit dans sa notice architecturale.
Nous faisons partie de ces propriétés viticoles qui affirment que le vin est un produit culturel. Nous sommes convaincus que ce supplément d’âme permet une dégustation vraiment réussie. Un grand vin est un vin qui ne présente pas de défauts ; mais pas seulement. Cette philosophie renvoie également à la notion de partage, de convivialité, à laquelle la famille Fayat est très attachée. Nous pensons que ce type d’évènement ponctuel est susceptible d’amener à nous des clients qui ne s’intéresseraient pas nécessairement au vin de manière générale ou ceux qui, nous ayant déjà rendu visite plusieurs fois au cours des dernières années, ont besoin d’une incitation à revenir sur la propriété.
LR : Dans la note d’intention dédiée à l’exposition, son commissaire, Guillaume de Sardes, écrit que « Si le rouge est bien la couleur de l’art, il n’est pas surprenant qu’on le retrouve à l’articulation d’une thématique classique : l’opposition entre la nature et la culture, ce qu’on a nommé ici de manière synecdotique les ‘forêts’ et les ‘villes’ ». Pouvez-vous revenir sur le choix de cette couleur comme fil conducteur de cette exposition ?
CP : La thématique du rouge s’est rapidement imposée à nous. Ici encore, tout est parti du cuvier dessiné par Jean Nouvel, un chai bardé de lames en acier inoxydable rouge, décliné en six nuances différentes. Nous y devinons même deux sources d’inspiration majeures : Anish Kapoor, chez qui l’on retrouve souvent ce rouge éclatant, et Jeff Koons, pour le matériau. Pour bâtir ce cuvier, les Ateliers Jean Nouvel se sont d’ailleurs approvisionnés auprès du fournisseur chez lequel Jeff Koons se procure ce même inox métallisé pour ses sculptures.
Cela faisait donc plusieurs années que nous souhaitions décliner cette couleur si spécifique de notre cuvier. Un rouge qui fait, bien sûr, référence à nos vins et, de manière plus générale, à la production viticole de la rive droite du Bordelais, notamment les appellations Pomerol et Saint-Emilion. Si le Château La Dominique n’est évidemment pas la seule propriété à produire du vin rouge, la présence du chai imaginé par Jean Nouvel nous rendait, sans doute, plus légitimes que d’autres à proposer une exposition articulée autour du thème du rouge.
LR : Cette première expérience est-elle destinée à être reproduite à l’avenir ?
CP : Tout à fait. Le concept sera décliné d’année en année. L’idée est d’inscrire ce rendez-vous dans le temps. Dans la mesure du possible, et selon les moyens qui nous seront alloués par nos mécènes, notre volonté est de pouvoir proposer, chaque année, une exposition déclinée autour de cette thématique du rouge. Il était très important aux yeux de la famille Fayat que cette première édition présente une exposition et une scénographie ambitieuses, qui rendent hommage aux prêts qui nous ont été concédés, à l’écrin que constitue le cuvier de Jean Nouvel et à l’idée même d’art contemporain.