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Depuis juillet 2017, les palaces français sont au nombre de 24. Atout France, l’agence du développement touristique en France, est en charge de l’attribution d’un label « palace », créé en 2011. Catégorie supérieure à l’appellation « 5 étoiles », la mention « palace » s’obtient pour cinq ans. L’agrément procède d’une phase d’instruction et d’une phase d’analyse dont l’exigence le dispute à d’inflexibles standards d’éligibilité. Les palaces français ont de fait une exemplarité reconnue internationalement et profitent, notamment en région parisienne, d’une hausse du nombre de touristes étrangers de 14,4% depuis 2017, qui se traduit par une hausse de leur fréquentation de 7%. La multiplication de ces établissements, particulièrement à Paris, est le signe d’un engouement équivalent au secteur du luxe qui, comme lui, s’inscrit dans une tradition très française. Souvenons-nous que Coco Chanel possédait une suite au Ritz qu’elle avait elle-même décorée de laques asiatiques. Salvador Dali avait établi ses quartiers au Meurice, dans la Suite Royale d’Alphonse XIII. Greta Garbo avait ses habitudes au Royal Evian. C’est dire si les palaces français sont souvent liés à des personnalités et à des mythes. Ces lieux sont marqués tantôt par un classicisme princier, comme le Crillon, tantôt par des audaces plus design, comme le Royal Monceau.
Le palace est un lieu enchanteur : il se construit autour de puissantes images mythiques qui font « chanter les choses », comme l’écrit Roland Barthes. Ainsi, l’anodin perd toute fadeur pour faire place à la magie du mythe : mythe littéraire liant par exemple le Ritz Paris à Marcel Proust ou à Ernest Hemingway, mythe princier liant le Shangri-La Paris au Prince Roland Bonaparte ou l’Hôtel du Palais de Biarritz à Eugénie de Montijo, épouse de Napoléon III. Le palace efface la fonctionnalité triviale du simple hôtel pour faire place ici à une demeure royale, là à un lieu de création artistique, voire à un ensemble d’architecture exceptionnel de cours et de jardins au cœur de la ville (au Ritz et au Bristol notamment). Dès l’entrée, le palace nous rappelle cette destinée mythique d’une façon interpellatoire : il nous signifie par le decorum d’un lobby et par la déférence de son personnel, que nous comptons parmi une prestigieuse lignée d’habitants et de résidents. Le palace nous indique que l’on partage désormais le quotidien d’une demeure d’exception où l’on sera traité comme tel. D’où la référence constante au royal et à l’impérial, c’est-à-dire à un cérémonial de cour qui hisse chacun de ses clients à un rang d’exception. Comme le remarque Valentino Piazzi, directeur de l’Hôtel Regina à Paris, les métiers propres à l’hôtellerie de luxe sont ceux que l’on retrouvait à la cour de Versailles : vous n’allez plus à Versailles mais Versailles vient à vous. Et c’est bien entendu l’oriflamme du luxe, discret ou ostentatoire, qui en sera l’illustration immédiate que l’on réside à Paris ou dans des lieux de prédilection de la jet set en été (Saint-Tropez, Ramatuelle) ou en hiver (Courchevel).
Que l’on privilégie l’excès, la notion de dépense chère à Bataille, ou la discrétion exquise, la retenue pulsionnelle à la Elias, les palaces ont en commun une recherche de satisfaction parfaite de leurs clients. Ils y parviennent bien sûr en répondant à leurs caprices et à leurs exigences, mais plus subtilement en contentant leurs cinq sens. Le toucher passe par la qualité des matières (des draps aux serviettes de bains, en passant par les tissus d’ameublement), l’ouïe par la garantie d’un calme absolu (le silence nécessite une acoustique irréprochable), la vue par une recherche d’esthétique parfaite (décorations grandioses, vues à couper le souffle, sans oublier la façade et la beauté du bâtiment), l’odorat qui au miasme oppose la jonquille pour paraphraser Corbin (on notera les ambiances olfactives et les compositions florales parfumant les allées des plus grands palaces) et le goût, ce dernier étant particulièrement cultivé dans les palaces français héritiers d’un patrimoine gastronomique incomparable (le George V à Paris ne compte pas moins de trois restaurants étoilés.)
Cet ensemble est sans cesse relayé par un spectacle plus subtil : celui du travail sur le corps et sur les postures du personnel des palaces, leurs façons de s’adresser aux clients, de se coiffer, de s’habiller et de s’exprimer. Bref un apprentissage exigeant. Aucun amateurisme n’est ici toléré mais une orthopédie subtile des corps qui incarne la sophistication de l’établissement : c’est là le corps légitime du palace, l’incarnation dans le personnel même du corps glorieux d’un établissement à la tradition parfois plus que centenaire. C’est une orchestration qui se donne à voir sans jamais se dire, mais dont le naturel repose sur un travail de chaque instant. On pourra y trouver de l’excès ou une forme d’exubérance dans la sophistication. « Exuberance is Beauty » répondrait William Blake.