|
|
Co-directeur de la Maison Mode Méditerranée en charge de la stratégie, Aurélia Vigouroux revient, pour Les Carnets du luxe, sur les grands enjeux de la formation aux métiers de la mode et de l’habillement.
Aurélia
Vigouroux
Les Carnets du luxe : Les grands groupes de la mode et de l’habillement font face à des problématiques de recrutement inédites et ont, notamment, besoin de collaborateurs de plus en plus qualifiés. Vous qui êtes co-directeur de la Maison Mode Méditerranée (MMM) et bénéficiez, à ce titre, d’un poste d’observation privilégié sur les grandes évolutions à l’œuvre, pouvez-vous nous expliquer quels sont les enjeux actuels de la formation aux métiers de la mode pour les entreprises du secteur ?
Aurélia Vigouroux : Au-delà d’un simple renouvellement générationnel, notre époque est marquée par l’apparition de nouveaux métiers. À l’instar de toutes les industries, l’industrie de la mode et de l’habillement évolue fortement, sous l’influence des évolutions technologiques, le Big Data, l’intelligence artificielle ou encore l’impression 3D. Parce que la technologie s’est immiscée dans tous les segments de métiers, l’ensemble des secteurs de la mode, de la création à la production, en passant par la communication et le retail, sont concernés par ces évolutions. En témoignent l’essor des métiers de community manager, de gestionnaire de data center, ou encore les évolutions technologiques, comme ces étiquettes traçables, qui permettent de ré-achalander un rayon quand un article vient à manquer. Autant de petites révolutions qui, ajoutées les unes aux autres, bouleversent les fondements des métiers de la mode. Nous entrons dans un nouveau monde, tant du point de vue des personnalités recrutées que des postes proposés. On constate notamment une véritable ouverture à l’international, que ce soit au niveau de ces grands patrons d’industrie qui ont su conquérir le monde, ou à celui des collaborateurs des entreprises, dans lesquelles se manifeste une grande diversité de parcours, de genres et d’origines géographiques. À ce titre, de nombreuses études démontrent qu’une plus grande présence féminine en entreprise est synonyme d’innovation.
CL : Au-delà de ces nouveaux métiers liés aux évolutions technologiques, quels sont, selon vous, les métiers du secteur qui sont en tension aujourd’hui ?
AV : Le retail, sans hésitation. Il s’agit du nerf de la guerre. Ce métier a été si dévalorisé au cours des dernières années et décennies que cela n’a pas contribué à susciter des vocations… Conséquence : le retail est le secteur qui a le plus de difficultés à recruter, tant au niveau des grands groupes de la mode comme de celui des TPE et PME familiales. Concevoir et fabriquer des produits haut de gamme est une chose, communiquer sur ces produits en est une autre. Mais savoir les vendre est essentiel. La plupart des personnes évoluant dans le top management des grands groupes de la mode témoignent de ce qu’une expérience de retail, en tant que responsable de boutique par exemple, est un passage obligé si l’on souhaite progresser dans l’entreprise. Pour répondre à cet enjeu, beaucoup de grandes entreprises du luxe se sont dotées de formations retail en interne. Mais cela ne dispense pas de proposer des formations bien en amont du recrutement. C’est pour cette raison que la MMM et son partenaire Aix-Marseille Université réfléchissent à l’opportunité de créer un nouveau diplôme, que nous appellerions « Retail excellence », dont l’objectif serait de revaloriser ce métier de vendeur en boutique, de le professionnaliser et de le lier avec les évolutions technologiques dont nous venons de parler. À ce titre, l’exploitation du Big Data a d’immenses potentialités. L’enjeu derrière ces questions est donc double : d’une part, il faut proposer des formations réellement adaptées aux nouveaux besoins des entreprises de la mode et de l’habillement ; de l’autre, cela suppose de revaloriser ce métier trop longtemps mésestimé.
CL : Quelle a été la réflexion à l’origine de la création de diplômes universitaires au sein de la MMM ?
AV : L’industrie de la mode et de l’habillement représente quelque 150 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, et pourvoit un million d’emplois. En dépit de l’importance considérable de ce secteur, nous avons, en 2006, fait le constat qu’il existait peu de formations universitaires dans le domaine de la mode et de l’habillement. C’est la raison pour laquelle nous avons co-créé avec Aix-Marseille Université une première filière universitaire entièrement dédiée à la mode, avec une licence en 2006 et, depuis 2010, un Master 1 et un Master 2 des métiers de la mode et du textile, qui forment aux métiers connexes à la création et au stylisme. Les jeunes diplômés peuvent ensuite prétendre occuper des postes tels que responsable marketing, chef de produit, responsable commercial, responsable des achats, de production ou d’approvisionnement.
CL : En quoi l’offre de formation proposée par la MMM se différencie-t-elle d’autres cursus similaires ?
AV : La MMM s’est associée à un établissement universitaire de renom, Aix-Marseille Université, pour allier l’excellence à l’accessibilité financière. Ce partenariat nous confère une vision croisée et complémentaire, l’Université nous apportant l’excellence de l’enseignement, de la théorie et de la recherche. Nous proposons des formations universitaires transverses dans les métiers de la mode, allant de la communication au marketing, en passant par le retail. Il s’agit donc de formations généralistes, ce qui ne nous empêche pas de recruter des profils d’étudiants très divers, ceux-ci pouvant venir d’écoles de commerce ou de Facultés de droit, d’histoire ou encore de littérature. La manière d’enseigner a elle aussi évolué. À la MMM, nous veillons à ce que 60% de nos cours soient assurés par des opérationnels qui exercent en entreprise, pour les plus grandes marques du secteur, afin de conjuguer théorie et pratique. Ce dernier point est fondamental, les recruteurs recherchant des esprits bien faits, mais surtout une agilité opérationnelle, une capacité d’agir et de trouver des solutions au quotidien. Le second atout de la MMM est la composition de son conseil d’administration, où est représenté l’ensemble des secteurs de la mode. Y siègent des personnalités influentes aussi diverses que Sidney Toledano (LVMH), Françoise Montenay (Chanel), Laurence Paganini (Kaporal) ou Michaël Azoulay (American Vintage). Cette diversité de profils et cette manière de travailler si particulière à la MMM nous permettent d’identifier et d’anticiper les nouveaux besoins. Enfin, la présence d’Yvon Berland, le président d’Aix-Marseille Université, et celle de Dominique Jacomet, le directeur général de l’Institut français de la mode (IFM), apportent une légitimité incontestable à nos formations. Grâce à ces atouts, la MMM peut développer une vision prospective, être une antenne, un véritable incubateur des nouvelles attentes des grandes marques. Nous attachons également beaucoup d’importance à nouer des partenariats. À titre d’exemple, nous avons récemment invité sur le site de l’Université Emmanuelle Favre, qui dirige les relations humaines de la marque Dior, ou encore des responsables de la marque HOM, avec lesquels nos étudiants ont mis en place un workshop dédié au retail. Ici encore, l’important est de faire intervenir des professionnels, qu’ils soient créatifs ou opérationnels, lesquels ouvrent les portes des marques à nos étudiants. Travailler main dans la main avec des professionnels au cœur du secteur et, notamment, avec les directions des ressources humaines des grandes marques, contribue à ce que notre cursus affiche un taux d’insertion professionnelle de 95% à l’issue de sa licence et de ses masters.
CL : Pouvez-vous nous parler des projets de développement de la MMM ?
AV : Parce que nous sommes en mesure d’anticiper les besoins du secteur, nous réfléchissons aujourd’hui à proposer des formations complémentaires à la licence et aux masters au sein d’Aix-Marseille Université, axées sur les nouveaux métiers dont nous parlions tout à l’heure. Ces nouveaux modules diplômants, qui fonctionneraient sur le modèle anglo-saxon des matières « majeures » et « mineures », pourront représenter une vraie valeur ajoutée sur le CV des étudiants. Enfin, avec Aurélie Kessous, la nouvelle directrice du Master, nous travaillons à lancer une chaire, consacrée à la mode et à la RSE (responsabilité sociale et environnementale), un domaine qui correspond à une préoccupation de plus en plus forte des consommateurs, notamment des millennials. L’essentiel est que l’Université ne se contente pas d’un enseignement théorique et qu’elle accorde une plus large place à l’aspect opérationnel des métiers auxquels elle prépare ses étudiants.