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Créer des images, des ambiances : telle était déjà l’idée de Donald Potard dans ses jeunes années, lorsqu’il choisit de se consacrer aux études théâtrales. Il n’a en somme jamais changé de métier, même s’il a glissé du milieu du spectacle à celui de la mode (unissant à l’occasion les deux mondes, comme dans son engagement au service du CNCS de Moulins). Son histoire est inséparable de celle de la maison Jean-Paul Gaultier, à laquelle l’a attaché une collaboration de trente ans, pendant lesquels il présida notamment la Chambre syndicale des couturiers. Aujourd’hui, il dirige Donald Potard consulting dont le but est de rapprocher créateurs et industriels pour donner vie et diffusion aux projets les plus singuliers. Ce Protestant engagé aime la parole autant que l’action ; il explique volontiers les structures et les évolutions de la mode à ses étudiants du Paris College of Arts – et aujourd’hui à nos lecteurs !
Guillaume de Sardes : On constate depuis des années un rapprochement du monde du luxe et de l’art. Pourquoi ? Quelle forme prend-il ?
Donald Potard : Warhol a été clairvoyant en lançant : « Les boutiques deviendront des musées et les musées des boutiques. » C’est ce qui arrive sous nos yeux. Les maisons de luxe se sont un peu trop laissées tirer vers le bas suite à leur rachat par des groupes financiers aux objectifs de court terme. Faire plaisir à ses actionnaires doit être la conséquence d’une bonne stratégie, pas son but… Seules quelques grandes maisons, comme Hermès, ont su résister à leur financiarisation. Les autres ont dû développer des stratégies pour enrayer la désaffection de leur clientèle. Faire appel à des artistes est un moyen parmi d’autres de redevenir désirables.
GS : Ce phénomène est-il si récent ?
DP : Non, c’est son extension au prêt-à-porter qui est nouvelle. La haute couture relève, elle, naturellement de l’art. Aussi n’y avait-il rien de surprenant à ce que Dali collabore avec Schiaparelli. C’était la même chose dans le domaine de la bijouterie, où l’on voyait Cartier travailler avec Jean Cocteau. C’est ce dernier qui a inspiré à Louis Cartier la fameuse bague Trinity, formée de trois anneaux entrelacés de trois métaux différents. On pourrait même faire remonter encore plus avant l’intrication entre art et luxe. L’Italien Cellini était par exemple un orfèvre autant qu’un artiste. En France, le rôle de Colbert a été déterminant. Louis XIV voulait être entouré de pièces d’art, mais cela coûtait une véritable fortune. Colbert a donc créé des manufactures en débauchant des ouvriers à l’étranger. Les meilleurs, très bien payés. Tous étaient de véritables artistes. En un sens, les manufactures royales étaient les ancêtres des grandes maisons de luxe d’aujourd’hui, et Versailles était un véritable show-room. Les courtisans, les visiteurs étrangers séduits par ce qu’ils voyaient autour d’eux étaient dirigés vers les manufactures royales dont ils devenaient les clients !
GS : Quelles sont les qualités du luxe qui vous paraissent être aussi celles d’une œuvre d’art ?
DP : J’en vois au moins trois qui sont évidentes. Premièrement, la transgression : un produit doit être provocant. Le luxe parle avant tout à l’imagination et aux sens. Il ne peut pas laisser indifférent. Deuxièmement, un caractère intemporel : contrairement à un objet qui ne traduit qu’une mode et perd toute valeur quand celle-ci change, le luxe se valorise avec le temps. Un canapé Putman, par exemple, finira dans une vente aux enchères ou dans les collections du Musée des arts décoratifs. Troisièmement, la rareté : mais qu’est-ce que la rareté ? Elle varie selon l’époque et les lieux. À Cuba c’était une bouteille de Johnnie Walker, en URSS un parfum français. En ce sens, le prix n’est pas une valeur du luxe ! Le luxe, c’est ce qu’on ne peut pas acheter. Il joue sur la frustration. C’est ce qu’ont su faire quelques très grandes marques en réservant certains produits à un nombre réduit de clients… Le luxe disponible partout n’est que de l’industrie.
GS : Voyez-vous des similitudes entre les stylistes et les artistes ?
DP : Oui, les uns et les autres répondent à un besoin d’incarnation. On assiste aujourd’hui à une telle perte de repères, à une telle montée de l’ignorance… Rares sont les personnes capables de juger de la réelle qualité d’une peinture, mais aussi d’un tissu, d’une couture ou de la coupe d’une veste. Aussi s’en remet-on à l’image du styliste ou de l’artiste. C’est lui qui séduit autant que ses créations. Pour le vêtement, le glissement a eu lieu dans les années 70. Avant, on avait affaire à des couturiers, les défilés étaient très ennuyeux. Puis Kenzo est arrivé, qui a inauguré l’ère des directeurs artistiques. Il a l’idée de faire marcher les mannequins sur de la musique. La présentation de saison devient un show ! Tout change radicalement : les maisons de couture montraient des vêtements, soudain elles proposent des images. Signe révélateur : dorénavant, il n’est plus interdit de photographier les défilés. Aujourd’hui, on constate une telle surexposition visuelle des vêtements qu’il n’y a plus de surprise en boutique. Donc plus de coups de cœur. L’idée de luxe s’estompe… Un autre parallèle peut être fait entre les artistes et les directeurs artistiques : les uns et les autres créent des univers. Pour les artistes, c’est évident. Mais c’est aussi devenu le cas de stylistes. Giorgio Armani, par exemple, crée non seulement des vêtements, mais encore des accessoires, du mobilier et même des yachts !