|
|
Exposée depuis quelques années aux défis du numérique, l’industrie du luxe se réinvente et révolutionne ses usages. Actuellement en pleine mutation avec l’émergence d’une clientèle de jeunes acheteurs qui redéfinit les codes, les marques s’attirent les faveurs des fonds d’investissement.
Le luxe ne connaît pas la crise. Cet adage semble se vérifier d’année en année. L’an dernier, le marché des produits personnels de luxe s’était élevé à 260 milliards d’euros, soit une croissance de 6 %. Une tendance qui selon le cabinet Bain & Company, devrait se confirmer avec un taux annuel compris entre 3 et 5 % par an jusqu’en 2025. C’est une bonne nouvelle pour les investisseurs et les acteurs du secteur qui redoublent d’efforts face aux transformations de la société occasionnées par la généralisation du numérique.
Si ces chiffres laissent augurer de belles performances pour le futur du secteur, ils révèlent également le poids de la consommation des jeunes acheteurs, notamment asiatiques, sur le marché du luxe. Les millennials et la génération Z mènent la danse, et dictent les tendances, bousculant les pratiques de l’industrie du luxe.
Les jeunes générations, vecteurs de mutations dans l’industrie du luxe
Les générations Y (millennials) et Z ont fourni à elles seules 100% de la croissance du marché du luxe en 2018 contre 85% en 2017.
Consciente de l’influence de ces consommateurs, et de leurs comportements disruptifs, l’industrie du luxe innove. Afin de répondre au mieux à leurs attentes, les marques introduisent de nouveaux usages connectés dans leur stratégie.
Cette opération séduction est rendue possible par internet et l’omniprésence des réseaux sociaux. Un modus operandi, finement exécuté au travers d’un arsenal de canaux : applications dédiées, brand contents calibrés, campagnes Instagram diffusées par des escadrons d’égéries, d’influenceurs, et autres prescripteurs. En témoignent les chiffres de la marque Gucci, maison phare du Groupe Kering, dont 55% du chiffre d’affaires est réalisé auprès de consommateurs de moins de 35 ans.
Mais les pratiques numériques seules ne suffisent pas pour charmer cette jeune population. S’ils sont ultra connectés, ces jeunes consommateurs s’avèrent également attachés à un prisme de valeurs faites d’inclusivité, de diversité, d’originalité, d’éthique et de durabilité.
La création ex nihilo de la maison de mode Fenty Paris par LVMH et Rihanna ne saurait mieux traduire l’impact de ces générations sur le marché du luxe et l’enthousiasme financier qu’elles entraînent. S’il revêt indéniablement un fort potentiel médiatique, l’accord passé entre Bernard Arnault et l’artiste et femme d’affaires barbadienne de 31 ans illustre l’avènement d’un nouveau business model. Un modèle qui consiste à convertir le capital de notoriété et de sympathie d’une sommité de la pop-culture, millennial et inclusive (70 millions d’abonnées instagram), en authentique marque de luxe, vendue quasi exclusivement en ligne. En investissant dans Rihanna, icône des générations Y et Z, noire et étrangère à la grande famille du luxe, LVMH chamboule les codes, et s’amuse à dessiner les nouveaux contours du secteur.
Par ailleurs, les préoccupations environnementales des jeunes consommateurs permettent à des pratiques durables de faire également leur apparition sur le marché du luxe. A l’image de l’upcycling (« surcyclage », soit recyclage par le haut), une pratique plus que jamais d’actualité, à une époque où la durabilité devient nécessité. Éthique et durable, l’upcycling témoigne surtout d’une démarche hautement créative, déjà intronisée dans les cercles mode, à l’instar de la marque Marie Serre, une jeune créatrice, lauréate du prix LVMH 2017. Cette dernière s’est donnée pour credo de repenser la conception et la confection vestimentaire à travers un processus de fabrication qui redéfinit la notion de luxe tout en lui restituant l’un de ses éléments essentiels : la rareté. Elle privilégie des créations uniques ou en petites quantités, entièrement réalisées à partir de textiles usagés, puis sublimés.
Un autre versant de cette responsabilité environnementale aura surtout permis l’émergence d’un véritable marché des produits de luxe de seconde main. Une étude de BCG-Altagamma indique que 50% de la génération Z a déjà vendu ou acheté un article de seconde main.
ThredUp, Scentbird, The RealReal… les fonds d’investissement friands du luxe
Ainsi, le luxe à la mode millennials semble être la recette du succès. Une réussite qui n’aura pas échappé à la vigilance des investisseurs qui voient dans cette mutation du secteur une véritable manne financière et un vivier d’innovations. A la fois dénicheurs de talents et friands d’entreprises à haut potentiel d’attractivité aux yeux de cette population, les fonds d’investissement misent sur les entreprises mêlant luxe, tech et e-commerce.
Le développement du marché des articles de luxe de seconde main est d’ailleurs un bel exemple de cet enthousiasme. Fort d’un chiffre de 25 milliards de vente en 2018, le commerce de produits de luxe d’occasion affiche une croissance qui devrait, selon un rapport du revendeur ThredUp, dépasser celle du luxe traditionnel d’ici 2028. Les acteurs du « resale » entrevoient un avenir juteux, les investisseurs l’ont bien compris. On pourra d’ailleurs citer la marque Vestiaire Collective, soutenue par le FPCI Luxury Tech Fund, un fonds spécialisé dans l’investissement des technologies au service du luxe.
Mieux encore, on note plus récemment outre-Atlantique, l’introduction en bourse de The RealReal, la start-up américaine basée sur le commerce d’articles de luxe d’occasion authentifiés, qui a vu ses actions s’envoler depuis leur arrivée sur le marché public. Evaluée à 745 millions de dollars (près de 664 millions d’euros) dans le cadre d’un tour de financement en juillet 2018 (données PitchBook), le site créé en 2011 compte déjà parmi ses investisseurs le fonds SGH Capital, spécialisé dans les start-ups disruptives. La présence de ce dernier dès le premier tour de table a su convaincre d’autres homologues reconnus, comme Perella Weinberg ou Great Hill Partners LLC. Il faut dire que SGH Capital a démontré par le passé que sa réputation de “faiseur d’or” des start-ups n’était pas usurpée. Encore une fois, pari gagné: l’action a pris 20% cette semaine, TheRealReal a démontré la force de son modèle économique cette semaine, en publiant des chiffres assez élevés au second semestre.
L’année dernière, la startup Scentbird avait à son tour éveillé un peu plus l’intérêt des fonds d’investissement lors de sa levée en Série A menée par Goodwater Capital. Lancé en 2014, le site vient convoiter le marché américain des parfums et cosmétiques, soit un marché rapportant 14 milliards de dollars. Typique de son temps, le concept, original et disruptif, propose un abonnement mensuel de 14,95 dollars. Ce dernier offre à chaque consommateur la possibilité de choisir entre 500 fragrances de designer, assisté par un algorithme de personnalisation. La startup new-yorkaise a récolté, à l’issue du tour de financement, 18.6 millions de dollars, suite aux participations des fonds Y Combinator, Rainfall Ventures, FundersClub, Soma Capital, Scrum Ventures, et ERA.
Luxe et commerce en ligne, le cocktail gagnant semble donc tout trouvé pour les investisseurs. Canal de distribution de plus en plus prégnant, le marché du luxe dans sa version e-commerce présente une hausse de croissance de plus de 22% en 2018, atteignant ainsi 27 milliards d’euros.
Le dynamisme affiché par l’industrie du luxe séduit donc les investisseurs, de plus en plus enclins à prendre part au capital d’entreprises adaptables à une cible de jeunes acheteurs de plus en plus nombreux.